SUD
OUEST 24 Décembre
2002
Journal français / french newspaper
JOUETS. Les adultes aussi s'intéressent aux Lego. Exemple avec
un collectionneur bordelais
Maniaque de la briquette
:
par Catherine Darfay
Eric Druon n'a pas commandé de Lego à Noël
cette année. Il a ce qu'il lui faut, merci : 250 « sets » (boîtes)
de 200 ou 300 pièces chacun, plus les pièces en vrac, soit 150 000
briquettes colorées, recyclées en scènes diverses et variées sur
son bureau ou soigneusement rangées dans des casiers de boîte à
outils en attendant la prochaine idée. A 36 ans bien sonnés, ce
Bordelais graphiste dans le civil, fait partie de ces « legomaniaques
» innombrables aux Etats-Unis, assez nombreux en Allemagne mais
encore rares en France. Dans cette confrérie secrète, le grand enfant
se range dans la catégorie « customiser » : « Certains collectionnent
les boîtes sans même les ouvrir. Moi, j'ai choisi d'en faire quelque
chose », précise-t-il.
Fan de « Star Wars ». Nostalgique ? Pas vraiment. D'ailleurs,
quand il était petit, Eric Druon n'aimait pas plus que ça les garages,
boutiques et autres maquettes classiques proposées par la fameuse
marque danoise. « Je me souviens tout de même d'un copain qui avait
un grenier bien fourni. Mais ça m'a vraiment pris à la fin des années
70 quand ils ont sorti des gammes "aventure" avec des pirates, des
vaisseaux spatiaux, le Moyen Age. C'est ça que j'attendais depuis
toujours... » Sa passion pour « Star Wars », dont il collectionne
également les figurines et objets fétiches, a fait le reste. Surtout
quand, en 1999, vingt ans après la sortie du premier épisode de
la saga filmée de George Lucas, Lego s'est à son tour mis à proposer
des produits dérivés sous licence. Depuis, le Bordelais a singulièrement
agrandi son coffre à jouets, raflant quelques occases dans les vide-greniers,
échangeant pièces et astuces avec d'autres maniaques de la briquette.
Mais, comme tous les enfants, c'est le neuf qu'il préfère.
Même si, en bon adulte à qui on ne la fait pas, il en fait autre
chose que ce qu'il y a marqué sur la boîte. Un village d'Astérix,
par exemple, alors que les héros gaulois n'ont jamais existé dans
les « sets » officiels : il lui a suffi de façonner les personnages
en brique et de les habiller d'autocollants sortis sur son ordinateur.
Simple ? Voire. Au gré de ses manipulations, Eric Druon peut également
vous fabriquer un sphinx, une spectaculaire « barque de Jadda »
(« Star Wars », toujours), une armée de squelettes (une autre de
marotte de ce « Baronsat » qui tire son pseudo du culte vaudou).
En ce moment, il en est plutôt aux mosaïques, en attendant de passer
à la sculpture. Le résultat est visible sur Internet, sur un site
perso qui lui a déjà valu 40 000 connexions : une sorte de galerie
d'exposition qui bouge tout le temps, puisque l'artiste de la briquette
n'arrête pas de défaire et de refaire ce qu'il a déjà fait.
Clin d'oeil. Pendant que d'autres s'échinent
sur Notre-Dame en allumettes, Eric Druon, alias Baronsat, se dit
assez peu intéressé par le défi technique, lui qui rame comme un
fou pour mettre en ligne les photos de ses modèles. Non, non, ce
qui le branche, c'est la création en couleurs et en 3D, et surtout
la référence à l'univers de la science-fiction et aux jouets qui
s'en sont tellement inspirés ces dernières années. C'est ainsi qu'il
s'est amusé à « customiser » un faux-vrai personnage de « Star Wars
» dans une vraie-fausse boîte au logo du film, juste le temps de
se faire éjecter par le George Lucas sur un site où il avait mis
sa création aux enchères. Marrant. Clin d'oeil supplémentaire dans
le détournement, il a même reconstitué en Lego une pub pour... Fisher
Price.
Ca se complique ? Oui, mais c'est pour
ça que c'est bon. Eric Druon navigue sans complexes de l'univers
ado, qui manie la référence sans déférence, à la conscience d'adulte,
qui exige de la cohérence. Et qu'on ne lui dise pas qu'il y a des
comptes à régler avec l'enfance dans son acharnement à amasser Lego
d'une part et figurines de l'autre, de « Star Wars » (eh oui, encore)
à Batman. D'accord, sa soeur collectionne aussi les jouets. Et alors
? Merci docteur Freud, on appellera Vienne un autre jour. A peine
si notre « customisé » se borne à constater qu'au XXIe siècle les
enfants jouent de plus en plus tôt à des jeux d'adultes tandis que
leurs parents font l'inverse : « Je n'ai toujours pas trouvé d'explication
sociologique intéressante. »
Habiller en Père Noël son
squelette fétiche réalisé en briques, c'est quand même plus rigolo.
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Sud Ouest 2002
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Bordeaux.
Eric
Druon et quelques-unes de ses créations
PHOTO MICHEL LACROIX
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